Luc 10, 25 – 37
La Parabole du Bon Samaritain

 







25. Et voici qu'un légiste se leva, et lui dit pour l'éprouver : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
26. Il lui dit : « Dans la Loi, qu'y a-t-il d'écrit ? Comment lis-tu ? »
27. Celui-ci répondit : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même. » -
28. « Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela et tu vivras. »
29. Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? »
30. Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands qui, après l'avoir dépouillé et roué de coups, s'en allèrent, le laissant à demi mort.
31. Un prêtre vint à descendre par ce chemin-là ; il le vit et passa outre.
32. Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit et passa outre.
33. Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié.
34. Il s'approcha, banda ses plaies, y versant de l'huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l'hôtellerie et prit soin de lui.
35. Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l'hôtelier, en disant : «Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour. »
36. Lequel de ces trois, à ton avis, s'est montré le prochain de l'homme tombé aux mains des brigands ? »
37. Il dit : « Celui-là qui a exercé la miséricorde envers lui. » Et Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »






Lors de l’épisode précédant ce texte, il est question, dans les trois évangiles synoptiques, d’une conversation entre Jésus et un érudit, explorant un sujet central : quel est le plus grand commandement ? Ce à quoi Jésus répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même. » (Matthieu 22, 37) (Marc 12, 29-31).
Seul Luc approfondit la discussion, dans une nouvelle occurrence, sous la forme de la parabole dite du « bon samaritain ». Il invite alors l’érudit, dans un subtil jeu d’interrogations, à trouver lui-même la réponse à sa question, à savoir qui est le prochain que je dois aimer comme moi-même.

Cette nouvelle parabole de Jésus conduit l’érudit - ici un Légiste - à changer de point de vue, de regard, à raisonner autrement, grâce à un dialogue dévoilant une nouvelle fois les dons de pédagogie du Christ. Les paraboles dont faisait souvent usage Jésus lui permettait d’expliquer des choses compliquées de manière simple, afin que tout un chacun puisse comprendre. La structure formelle du texte, en 3 parties bien distinctes facilite cette compréhension. En effet, l’histoire se déroule en 3 temps. 1er temps : du verset 25 au verset 28 (question initiale sur comment mériter la vie éternelle), 2ème temps : du verset 29 au verset 35 (développement de la question du prochain par une parabole), 3ème temps : du verset 36 au verset 37 (réponse à la question qui est le prochain et par extension réponse à la question sur ce que l’on doit faire pour mériter la vie éternelle).

Dans ce texte, Luc met en scène Jésus aux prises avec un Légiste lui posant des questions auxquelles le Christ répond par d’autres questions. Ensemble ils apporteront la lumière sur l’amour du prochain par une série de figures de style dont se sert Jésus pour éclairer le Légiste sur son chemin de foi (Allégorie, métaphore, parabole…).

Le Légiste, dans l'Israël ancien, est un théologien qui réfléchit sur la Loi et qui l'interprète.
Les Légistes ou Docteurs de la Loi sont caractérisés non par leur appartenance à un courant religieux, comme les Pharisiens, ou à une classe sociale, comme les Prêtres, mais par leur savoir : ils ont longuement étudié la Loi et reçu de leurs maîtres la Tradition, l’interprétation orale de la Loi, qu’ils retransmettent eux-mêmes à des disciples. Ils sont ainsi formés pour interpréter la législation religieuse et l’adapter aux cas concrets. Ils en acquièrent donc un certain pouvoir du fait des décisions de justice qu’ils sont amenés à prendre.
Le Légiste de ce texte vient vers Jésus «pour l’éprouver» (verset 25) : il ne s’agit pas ici, comme dans d’autres cas (Luc 11,54 et Luc 20,20) de mettre Jésus à l’épreuve pour tenter de le perdre, mais seulement de tester ses connaissances concernant la Loi. Le ton est à la joute intellectuelle plus qu’au complot, comme d’ailleurs dans le passage parallèle de Marc 12,28. Tandis qu’en Matthieu, dans un contexte d’affrontement avec les grands Prêtres et les Scribes (Matthieu 21,23), puis les Pharisiens (Matthieu 22,15) et les Sadducéens (Matthieu 22,23), la question est posée «pour l’embarrasser» (Matthieu 22,34).

Le Légiste s’entretient donc avec Jésus et lui pose la question : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » (Verset 25). Or pour hériter de quelque chose il faut être le fils de quelqu’un. Cela implique donc le fait que le Légiste se place en possible héritier de Dieu, en tant que fils de Dieu le Père. Ce qui équivaut à demander, comment dois-je me comporter pour être un digne fils de Dieu, et mériter ainsi la vie éternelle ? Le légiste veut savoir ce qu’il doit « faire », accomplir, pour se mettre dans une position qui lui permettra d’être considéré par Dieu comme son héritier afin d’avoir droit, en tant qu’héritier, à la vie éternelle. Le verbe « faire » apparaît à 3 reprises dans ce texte (versets 25, 28, 37), cela implique non pas de rester « passifs », attendant la vie éternelle mais « actifs » pour la mériter, l’avoir en héritage.

Jésus ne répond pas à la question, il lui en pose une autre : « Dans la Loi, qu'y a-t-il d'écrit ? Comment lis-tu ? » (Verset 26). Jésus ne lui impose pas de réponse, il l’invite à rechercher la réponse en lui-même, en faisant référence à ce que le Légiste connaît le mieux : la Loi. Ainsi la réponse détournée est de se référer à la Loi en sachant l’interpréter correctement, ce que le Légiste fait. Celui-ci lui répond alors : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même. » (Verset 27). L’utilisation répétitive du mot « tout » implique que le disciple doit se dévouer entièrement à Dieu et lui être constamment fidèle. Cet amour doit être entier, engageant toute la puissance de l’être.
En attirant l’attention de son interlocuteur sur la Loi et la nécessité d’y obéir, Jésus rappelle que celui qui est né de Dieu sait aimer et se doit de garder ses commandements, il approuve donc la citation du Légiste : « Tu as bien répondu; fais cela et tu vivras. » (Verset 28) ), mais en reprenant le verbe «faire» – du verset 25 dans le verset 28 –, il invite le Légiste à ne pas en rester au débat intellectuel, fût-il théologique, mais à réellement mettre en pratique les commandements par l’action, ce qui appelle déjà la parabole qui va suivre.

Car il y a deux composantes à la réponse : Certes il faut aimer Dieu, mais également son prochain, et de la même manière que l’on s’aime soi-même. L’un de ces commandements ne va donc pas sans l’autre. Il faut que les deux soient réunis pour mériter la vie éternelle en héritage. Aimer Dieu, aimer son prochain. « Comme soi-même » implique également le fait de savoir s’aimer soi-même, de ne pas s’oublier. En effet, comment aimer son prochain si l’on ne s’aime pas soi-même ? Comme il n’est pas aisé de s’aimer soi-même, il est encore plus difficile d’aimer l’autre. Par expérience, il n’est pas toujours simple d’aimer les hommes, surtout ceux qui, à nos yeux, ne le méritent pas, à commencer par nos ennemis potentiels. Cette réflexion a sans doute germé dans l’esprit du Légiste, puisque celui-ci pose une nouvelle question concernant l’amour du prochain.
« Qui est mon prochain ?», demande-t-il alors. « Il veut se justifier » (verset 29), c’est-à-dire se mettre hors de cause. Le Légiste n’a pas de problème avec l’idée d’aimer Dieu, mais il en voit un avec celle d’aimer tous les hommes, particulièrement ceux qui lui causent du trouble.
Il veut une définition du prochain qui soit limpide et qui lui permette de faire son devoir. Aimer le monde entier? C'est impossible. N'aimer que certains hommes? Oui, mais lesquels? Faut-il aussi aimer les ennemis, les pécheurs, les païens ? Croire que l’on puisse aimer tous les hommes du monde entier est le plus sûr moyen de n'aimer personne. D’ailleurs en Jean 2, 15 il est dit « N'aimez point le monde, ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est point en lui ». Ce qui veut dire qu’en s’éparpillant, en cherchant à aimer tout un chacun on se perd dans un amour qui n’en est plus puisque celui-ci nous éloigne de l’amour de Dieu. Il est donc important, à ce moment là, pour le Légiste de savoir qui aimer.
«Jésus reprit» (Verset 30) : Jésus ne répond pas plus directement à cette question qu’à la première, car entrer dans un travail de définition du «prochain» serait se comporter comme ces Pharisiens auxquels il reproche précisément leurs interminables discussions qui leur permettent d’échapper à leurs devoirs (Luc 11, 39-42), c’est pourquoi il va répondre à nouveau par une autre question (verset 36), après le détour d’une parabole. Cette parabole raconte l’histoire d’un homme qui a sauvé la vie d’un voyageur volé, blessé et abandonné successivement par un Prêtre et par un Lévite. Un troisième voyageur remarque l’homme blessé. C’est un Samaritain. Or les Juifs méprisaient les Samaritains. Si quelqu’un avait pu avoir une excuse pour ne pas aider le blessé, c’était bien le Samaritain. Pourtant, contrairement au sacrificateur et au Lévite, cet ennemi héréditaire des Juifs est touché de compassion, il est « pris de pitié » (verset 33). Et sa compassion le conduit à des actions très concrètes. Il s’occupe du malheureux en lui prodiguant les soins d’urgence, en le transportant dans une hôtellerie et en pourvoyant à ses dépenses. Il fait tout cela sans rien attendre en retour. Le Samaritain est «pris de pitié» : Luc a déjà utilisé ce verbe très particulier – qui signifie littéralement être pris aux entrailles - en Luc 7,13 - pour décrire la compassion «viscérale» de Jésus devant la veuve de Naïn : « En la voyant le Seigneur eut pitié d’elle ». C’est en grec la transposition du mot hébreu qu’utilisaient déjà les Prophètes pour définir l’amour inconditionnel que ressent le Seigneur pour son peuple « C’est pour cela que mes entrailles s’émeuvent pour lui » (Jérémie 31,20), « Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent » (Osée 11,8). Le Samaritain, cet hérétique, aime donc de l’amour même de Dieu.
«Un Samaritain» n’est pas seulement un habitant de la Samarie, la province séparant la Judée au sud de la Galilée au nord. Convertis à la foi monothéiste, les Samaritains ne reconnaissent que la Torah (la Loi) écrite et refusent la Tradition orale (spécialité du Légiste) ; ils avaient bâti un temple rival de celui de Jérusalem, sur le mont Garizim (cf. le dialogue entre Jésus et la Samaritaine, en Jean 4,9-20). Au retour de leur captivité à Babylone, les Juifs ont refusé d’admettre les Samaritains parmi eux. Depuis lors, les deux communautés évitent tout contact. Ainsi, le texte de Luc affirme que, pour les Samaritains, offrir l'hospitalité à un Juif représenterait la violation d'un interdit, au point qu'ils refusent d'accueillir les voyageurs en route vers le Temple de Jérusalem : « [Jésus] envoya des messagers en avant de lui. S'étant mis en route, ils entrèrent dans un village samaritain pour tout lui préparer. Mais on ne le reçut pas, parce qu'il faisait route vers Jérusalem » (Luc 10, 52-53).

La parabole oppose donc à l’attitude des religieux, supposés pratiquer les œuvres de miséricorde, celle d’un mécréant.

Car, le voyageur, avant d’être sauvé par le Samaritain a été vu et délaissé par deux fois, par un Prêtre tout d’abord, puis par un Lévite.
Le texte de la parabole précise que l’homme (un homme, un anonyme : qui représente ici tout un chacun), attaqué par les brigands, est laissé « à moitié mort », autrement dit, sans doute, inconscient. Il pouvait donc paraître mort, ce qui explique que ni le Prêtre, ni le Lévite, ne s’approchent de lui et font même un écart. A travers le Prêtre, la fonction sacerdotale ; à travers le Lévite, la fonction enseignante. Toute la vie religieuse du peuple juif tournait autour de ces deux instances : le culte avec le Temple, l’enseignement avec la synagogue.

«Un prêtre» : la réaction du Prêtre, pour choquante qu’elle puisse paraître, s’explique sans doute moins par son indifférence à autrui et son insensibilité, que par un respect trop légaliste des prescriptions de la Loi. Il craint en effet que l’homme qui gît au bord du chemin soit mort. Or pour tout fils d’Israël, le contact avec un cadavre était source d’impureté légale et nécessitait une purification : « Celui qui touche un cadavre, quel que soit le mort, sera impur sept jours. Il se purifiera avec ces eaux, le troisième et le septième jour, et il sera pur ; mais s’il ne se purifie pas le troisième et le septième jour, il ne sera pas pur. Quiconque a touché un mort, le corps d’un homme qui meurt, et ne s’est pas purifié, souille la demeure de Yahvé ; cet homme sera retranché d’Israël, car les eaux lustrales n’ont pas coulé sur lui, il est impur, son impureté est en lui. …» (Nombres 19,11-13). Le Prêtre ne pourrait donc pas, pendant ce temps, remplir les devoirs de sa charge sacerdotale.

«Un Lévite» : la même règle de pureté rituelle s’applique aux Lévites, c’est-à-dire aux membres de la tribu de Lévi, l’un des douze fils de Jacob. Les Lévites sont voués au service de l’Arche d’alliance puis du Temple (Chroniques 23).

Ce qui permet de comprendre l’attitude du Prêtre et du Lévite qui, bien qu’ayant probablement terminé leur service – puisqu’ils quittaient Jérusalem et descendaient vers Jéricho – ne pouvaient pas pour autant contracter une impureté ineffaçable.

Jésus affirme pourtant dans cette parabole que ni l’un ni l’autre n’ont su se montrer le prochain de l’homme, à cause des nombreux interdits que leur impose le respect de la Loi.
Jésus ne s'en prend pas à la Loi elle-même, mais à une Loi mal interprétée, à une Loi qui refuse l'exception, l'urgence, une Loi qu'on oppose à l'amour, une Loi que l'on dresse contre l'amour et qu'on élève au-dessus de lui. Le Samaritain avait lui aussi sa Loi qui lui dictait de passer outre. Mais Il fait fi de sa Loi, la tradition de son peuple, car un homme a besoin de lui. Il n'y a plus ici un Juif et un Samaritain mais deux hommes dont l'un a besoin de l'autre. Le Samaritain ne nie et ne rejette pas ce qui le sépare du Juif. Il le dépasse et le transcende.
Jésus décrit dans cette parabole un comportement très fort du Samaritain. Celui-ci, pour un inconnu en situation de détresse, va sacrifier temps et argent, sans compter « ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai » (Verset 35). Le Christ va appliquer lui-même cette notion de la Charité en acceptant de sacrifier sa vie sur la Croix. Pour Jésus, la charité est donc d'abord un acte d'amour qui nous engage, nous, et pas un acte de justice qui engage les autres.

Le Légiste a posé une question. Qui est mon prochain? Et comme la première fois, Jésus lui retourne la question par une autre question. Jésus impose là un changement de direction au dialogue. Au lieu de répondre directement à la question, Qui est mon prochain, Jésus lui demande, « Qui s’est comporté comme le prochain de l’autre? » Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé entre les mains des brigands? (Verset 36). Jésus omet délibérément de fournir des renseignements quant à celui qu’on devrait aider. Du mode passif, Jésus passe au mode actif. Le Légiste voulait une définition du mot « prochain ». La question de Jésus présuppose que tous les hommes sont nos prochains, en particulier ceux qui sont dans le besoin. Mais elle va plus loin. Elle montre clairement qu’une personne se conduit comme le prochain de l’autre par l’exercice de la miséricorde à son égard.

Car supposons que l’histoire s’arrête au verset 35 : la conclusion qui en ressortirait directement serait que mon prochain, celui que je dois aimer, c’est l’homme blessé. Mais le texte nous réserve une surprise. Le Christ ne dit pas : « Pour qui cet homme abandonné a-t-il été un prochain ? » mais « lequel de ces trois (Prêtre, Lévite, Samaritain) te semble avoir été le prochain de cet homme ? ». Ainsi le Christ conduit le Légiste à désigner comme prochain, celui qui aime. Le prochain, c’est celui qui s’occupe de l’homme qui est dans le besoin. Voilà l’homme que le Légiste doit aimer « comme lui-même ». Si donc nous mettons en rapport la question « qui est mon prochain » avec la réponse « c’est le Samaritain », il faut conclure qu’aimer son prochain signifie aimer celui qui nous a soigné et sauvé de la mort.

Jésus laisse donc entendre que le Samaritain est l’exemple d’un homme qui a fait ce que la Loi commande, dont les actions sont en accord avec l’héritage de la vie éternelle. La Loi ne nous demande pas d'aimer tous les hommes du monde. Elle nous demande d'aimer, pas simplement notre ami, celui qui nous est sympathique, celui qu'il est facile d'aimer, mais notre prochain. Celui qui a besoin de nous, de notre aide, celui qui doit être sauvé. Cette intervention renvoi à la question initiale du Légiste. « Tu m’as demandé ce que tu devais faire pour hériter de la vie éternelle. Et bien, je viens de te donner la réponse : fais la même chose que le Samaritain. Il a observé la Loi. Il a aimé son prochain comme lui-même. Fais de même et tu vivras. Fais comme lui et tu hériteras de la vie éternelle. »
Jésus a demandé : Lequel de ces trois, à ton avis, s'est montré le prochain de l'homme tombé aux mains des brigands ? » (Verset 36) «Celui qui a exercé la miséricorde» répond le Légiste qui a bien compris la leçon : il ne désigne plus l’homme par son origine (un Samaritain), mais par l’action miséricordieuse de celui-ci.

«Fais de même» : la conclusion de Jésus est une nouvelle invitation à agir en mettant en pratique les commandements (comme au Verset 28). Invitation qui ne manque pas d’ironie puisque ce spécialiste de la Loi est convié à imiter, non les ministres du culte qui n’ont pas su allier amour de Dieu et amour du prochain, mais un hérétique qui méconnaît la tradition orale explicitant la Loi et qui cependant agit précisément selon la volonté de Dieu. Le Samaritain aime donc son prochain. Il prend «soin de lui» : l’expression revient deux fois (Versets 34 et 35). Le Samaritain qui n’est pas prisonnier des règles de pureté, comme le Prêtre ou le Lévite, n’est pas non plus dépendant de son argent qu’il accepte de dépenser pour cet homme qu’il ne connaît pas. Il est centré sur le «soin» qu’il faut prendre de l’homme, sur l’amour authentique et agit.
La charité efficace du Samaritain est décrite en cinq verbes (s’approcher, bander, charger, mener, prendre soin) qui montrent son engagement au service de son prochain. L’huile et le vin qu’il emportait sans doute comme provisions de voyage, pouvaient aussi être utilisés dans le traitement des plaies pour désinfecter et calmer. Jésus utilise ici une allégorie : c’est par l’huile de l’onction du baptême et le vin de l’eucharistie que l’humanité est guérie. C’est par l’huile et le vin que le Samaritain soulage son prochain. De plus, le Samaritain accompagne l’homme blessé à l’Hôtellerie. Nous avons alors affaire à une métaphore : L’Hôtellerie c’est le Temple, et par extension, l’Église. Le Samaritain ne prodigue pas seulement des soins au corps agonisant mais va plus loin en cherchant également à guérir son âme en l’accompagnant vers l’hôtelier (que l’on peut se représenter en la personne du Christ).

La question du prochain se pose en termes de savoir qui dois-je aimer, à qui dois-je rendre service ? Or, à cette question, Jésus apporte une réponse curieuse : le prochain, ce n’est pas celui qui est tombé aux mains des brigands auquel on peut rendre service en le recueillant et en le soignant. Non, le prochain, c’est le Samaritain, c’est-à-dire celui qui prend pitié et rend service. Autrement dit, le prochain c’est celui qui m’aime. Ce qu’il faut regarder, n’est pas n’importe qui, c’est celui qui me sauve de la mort. Or, quel est celui qui nous sauve de la mort, si ce n’est Jésus lui-même ? Ce que Jésus veut nous enseigner, en inversant le rapport, c’est que l’important, ce n’est pas ce que nous faisons pour Dieu ou notre prochain, mais ce que Dieu, en la personne du Christ, fait pour nous. L’important, c’est de laisser Dieu s’approcher de nous, nous panser, nous recueillir, nous guérir, afin qu’il puisse s’aimer en nous et qu’il puisse aimer le prochain à travers nous.
L’homme restauré par la charité du Christ fait le bien « car ce n’est plus (lui) qui vit mais le Christ qui vit en (lui). » (Ga 2, 20)

Dès lors, si le blessé met en pratique la seconde partie du commandement, s’il entend aimer effectivement son prochain, comment le blessé pourra-t-il se montrer à l'égard du Samaritain son « prochain » ? Comme un « débiteur, un esclave, complètement dépendant » ou bien comme « librement aimant » ? Librement aimant, à n’en pas douter. En effet, le texte est sur ce point éclairant : les premiers soins accomplis, le Samaritain se retire, il donne deux deniers à l’hôtelier avec des recommandations, il continu son chemin, il ne demande rien à l’homme qu’il a sauvé, bref il part sans exiger de l’homme quoi que ce soit. Le Samaritain poursuit son chemin et reste aussi libre par rapport à celui qu’il a secouru (en le laissant, du même coup, libre lui aussi). Si le blessé doit se montrer librement aimant à son égard, comment pourra-t-il régler sa dette d’amour, de reconnaissance, envers l’étranger qui l’a sauvé ? Il ne pourra la régler, s’il en a les moyens et du temps disponible, qu’en faisant de même avec d’autres, il se mettra au service d’autres personnes. Le Samaritain a aimé. Le blessé transmettra à son tour cet amour.
Ainsi, la parabole apporte deux lumières sur notre manière de nous comporter. Premièrement, si nous avons bénéficié de l’aide de quelqu’un lorsque nous étions dans la difficulté, nous devons aimer à vie celui qui nous a aidé à en sortir, même s’il est étranger (inconnu). Mais lui rendre ce qu'il nous a donné, nous ne pourrons souvent le faire que vis-à-vis de quelqu'un d'autre : si nous voyons nous-mêmes quelqu’un dans la difficulté, il nous faudra payer notre dette en aidant cet autre dans la mesure de nos possibilités, en ne lui tournant pas le dos.

En conclusion, ce qui a manqué au Prêtre et au Lévite, c’est une grande liberté d’interprétation qui place l’amour en premier et non pas la Loi : ici, il fallait braver l’interdit, parce que cet homme avait besoin de secours. C’est cette liberté que Jésus manifeste, à plusieurs reprises dans les évangiles (en Matthieu 12, 1-8 à propos des épis arrachés un jour de sabbat et en Matthieu 12, 9-14, à propos de la guérison d’un homme à la main sèche un jour de sabbat), et qu’il synthétise en affirmant : « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat ; en sorte que le Fils de l’homme est maître même du sabbat » (Marc 2, 27).

L'important dans ce texte, ce n'est pas ici la position du Légiste vis à vis de Jésus, mais son statut : les docteurs de la Loi étaient l'autorité en étude Théologique dans le Judaïsme. Or ce Légiste va donner exactement la même réponse que Jésus. Le fait d'avoir laissé le Légiste s'exprimer va permettre de faire ressortir la pleine convergence entre eux deux sur ce qui est le plus important dans la Loi ou ce qui la résume : c'est d'aimer. Et c’est ce que le Légiste transmettra. Par ce passage, Jésus montre qu'il n'est pas venu changer la Loi, mais lui donner toute sa signification : « Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la Loi ou les Prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Matthieu 5,17).

Accomplir c’est aimer. Aimer c'est agir. Mais pour pouvoir aimer, il faut d'abord savoir découvrir. Découvrir qui est notre prochain, celui qui a besoin de nous. Dans cette parabole du bon Samaritain l’enseignement de Jésus est double : il nous dit d’agir avec miséricorde envers quelqu’un duquel nous deviendrons le prochain, et d’aimer ceux qui nous ont sauvés.

« Et Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. » » (Verset 37). Jésus nous demande donc d’agir en aimant notre prochain. Comme Jésus nous aime. Le Bon Samaritain est donc une métaphore de la personne de Jésus. Si Jésus choisit un Samaritain, - considéré comme un pécheur pour les Juifs - pour le représenter, c’est précisément parce que c’est en épousant notre condition de pécheurs que Jésus s’est rendu le plus proche de nous et qu’il nous sauve. Et c’est parce qu’il nous sauve que l’on doit l’aimer comme nous-mêmes. En suivant ses commandements, en héritage, Dieu nous donnera la vie éternelle.
« Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jean 15,12). En recevant l'amour de Jésus, en acceptant ses soins, sa guérison, nous pouvons alors être debout et faire aux autres, ce que le Christ a fait pour nous.

 

 

Murdarco

NOUVEAU TESTAMENT - Évangiles selon Saint Luc

Théologie - Parabole du Bon Samaritain
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